Une certaine intimité que j’entretiens, de par ma foi catholique et mon éducation, avec la culture biblique m’a amené récemment à considérer la façon souvent déconcertante dont les prophètes agissent pour transmettre au peuple des croyants et à ses dirigeants un message divin. En effet, les exemples ne manquent pas chez les prophètes d’Israël d’attitudes incompréhensibles, souvent en apparence irrationnelles, destinées à faire comprendre au peuple et à ses chefs qu’ils marchent dans la mauvaise direction. Du célibat de Jérémie aux périodes de mutisme d’Ezechiel en passant par l’histoire conjugale d’Osée, qui choisit volontairement d’épouser une prostituée, les prophètes parlent autant par les actes qu’ils posent que par leur discours, qui prend souvent l’opinion dominante à contrepied… Plus tard le Christ des évangiles n’hésitera pas lui aussi à étonner ses contemporains par ses actes, et dans l’histoire du christianisme on verra de nombreux saints, comme un Philippe Neri ou même un saint François d’Assise, adopter de telles attitudes déconcertantes destinées à faire réfléchir.
Dans ma vie, j’ai eu l’occasion de croiser de très rares fois de tels prophètes, qui savaient aller à contre-courant d’une pensée dominante, qui semble juste en apparence mais en apparence seulement, pour dénoncer, souvent à la consternation de tous, le ver qui se cache dans le fruit. Il ne suffit pas en effet qu’une cause soit juste pour être défendue. Encore faut-il aussi que les moyens et les arguments avec lesquels on la défend soient justes et adaptés pour être efficaces.
Philippe Arino fait partie de ces êtres d’exception. Professeur d’espagnol en lycée professionnel, essayiste, homosexuel lui-même, il développe à travers ses ouvrages une vision sans concessions mais animée d’une réelle charité sur l’homosexualité, comme en témoigne son dernier ouvrage, « L’homosexualité en vérité ». Philippe Arino s’est également illustré par les conférences qu’il a commencé à donner un peu partout en France depuis le mois de septembre 2012, ayant pris un an de congé sabbatique pour mieux faire connaître, notamment dans les milieux chrétiens mais pas seulement, son expérience et son point de vue iconoclaste sur l’homosexualité.
Lorsque, à la suite de l’élection de François Hollande à la présidence de la République, on a commencé à parler d’un projet de loi autorisant le mariage pour les couples de même sexe, il a été dans les tout premiers à s’engager contre. C’est notamment par son intermédiaire que j’ai assisté au Sénat à la présentation d’un avant-projet par la sénatrice EELV Esther Benbassa.
Aussi, lorsqu’au lendemain de la manifestation du 13 janvier dernier, que tous présentaient comme un succès, il dénonçait sur son blog (http://www.araigneedudesert.fr/page/temoignages.html) « une manif homophobe finalement », ce fut une première consternation. Je cite la phrase résumant son impression : « La Famille a occupé le haut du pavé, alors que nous savons très bien que c’est au nom de l’« amour » homosexuel, au nom de la reconnaissance de l’homosexualité, et par les personnes homosexuelles, que cette loi du « mariage pour tous » risque de passer comme une lettre à la Poste ».
Plus récemment, sa décision annoncée de ne pas participer à la manifestation du 24 mars a fait l’effet d’un coup de tonnerre, et nombreux sont ceux qui depuis ont tenté – sans succès – de le faire changer d’avis.
Ce geste devrait, je pense, nous amener sérieusement à réfléchir à la façon dont nous avons jusqu’à présent mené notre action. Je résumerais l’argumentaire de Philippe en 3 points :
1) C’est au nom des personnes homosexuelles que l’on est entrain de faire passer la loi sur le mariage pour tous. Il aurait donc été logique que nos porte-parole soient majoritairement des personnes homosexuelles ;
2) C’est au nom de l’amour homo et de la reconnaissance de l’identité homosexuelle que la loi Taubira est en train d’être validée socialement. Il est donc nécessaire que soit porté un jugement de valeur sur « l’amour homosexuel » afin de pouvoir contrer l’argument relativiste sur lequel repose l’ensemble de ce projet : « la différence des sexes n’a aucune importance pour l’amour », autrement dit « l’amour n’a pas de sexe » ;
3) Les anti-mariage-pour-tous n’ont pas su rejoindre le faible argumentaire affectif des pro-mariage-pour-tous (pourtant basé sur 5 mots qu’ils sont bien incapables d’expliquer : « droit » – « Égalité » – « progrès » – « homosexualité » – « homophobie »). Ils ont préféré partir de ce qu’ils savaient (et qui est juste sur le papier), plutôt que de ce que croient les défenseurs du projet de loi. Ils ont finalement mis la Vérité avant les personnes et la Charité.
Sur le premier point, reconnaissons que les précédents qui se sont produits en Europe tendent à lui donner raison. Si la Belgique n’a pas connu de forte opposition au projet de loi de mariage pour tous, l’Espagne en revanche a connu une forte mobilisation, avec plus d’un million de personnes dans les rues et la participation plus qu’active de l’ensemble du clergé. Le nombre n’a donc pas suffi à faire plier le gouvernement espagnol. Je reviendrai plus tard sur la critique des arguments que nous avons utilisés, mais pour ce qui est simplement de la forme, je pense qu’il aurait été approprié de laisser les personnes homosexuelles qui étaient contre ce projet être nos porte-parole. Imaginons la force symbolique d’une foule menée majoritairement par des personnes homosexuelles contre un projet de loi qui aurait été conçu pour elles. Quel hommage également rendu à ceux et celles qui, parmi les personnes homosexuelles, ont pris de gros risques en prenant ouvertement position contre ce projet que de les mettre en tête de cortège et de leur laisser prioritairement la parole. Une belle occasion manquée ! Nous savons par ailleurs que si cette loi passe, ce sont les personnes homosexuelles qui en seront avec les enfants les premières victimes. Il n’est que de voir l’augmentation des actes homophobes dans les pays où le mariage homosexuel a été autorisé : viols correctifs de lesbiennes en Afrique du sud, augmentation des agressions à caractère homophobe en Belgique. Lors de la première réunion du collectif en octobre, je me souviens avoir mis en garde sur l’importance de prendre en compte la souffrance des personnes homosexuelles qui servait incontestablement de support à cette loi, faisant même un parallèle avec la loi sur l’avortement et la souffrance des femmes enceintes en situation de détresse, trop négligée par les opposants à la loi Veil.
Sur le deuxième point, je pense qu’il faut avoir le courage de dire la vérité, comme j’ai eu l’occasion de la dire lors de différents débats et tables rondes auxquels j’ai participé, même si cette vérité n’est pas « politiquement correcte » : toutes les orientations sexuelles ne se valent pas. Ce n’est ni moi ni Philippe Ariño, ni même une quelconque morale, qui portons un jugement de valeur sur la réalité du désir homosexuel : ce sont simplement les faits. L’étude de Gunnar Anderson sur les taux de divorce des couples dans les populations scandinaves montrent que les couples de même sexe sont moins stables que les couples hommes-femmes, même dans les pays où le mariage est autorisé pour les couples de même sexe. Cette tendance se maintient alors que la loi a été promulguée depuis presque 20 ans. Si les couples d’hommes semblent un peu plus stables que les couples de femme, l’infidélité y est en revanche beaucoup plus élevée que pour les couples homme-femme. Ceux qui se sont penchés sur ce phénomène semblent avoir trouvé l’explication dans le fait que, indépendamment même de l’orientation sexuelle, la psychologie et les besoins affectifs de l’homme et de la femme sont en quelque sorte mieux ajustés pour une personne de l’autre sexe que pour une personne de même sexe. Il est intéressant de constater que le matraquage que nous subissons depuis des années à travers les médias nous a fait perdre la conscience d’un certain nombre de réalités fondamentales concernant l’amour, l’homme et la femme, au point de nous faire oublier (ou de nous interdire de dire, ce qui est pire) que la différence des sexes n’est pas un simple détail dans une relation amoureuse, ce qui ne revient pas à nier la réalité que peuvent vivre certains couples homosexuels, mais consiste simplement à remettre les choses à leur juste place. Certains trouvent le discours de Philippe Arino sur ce sujet trop difficile à entendre, trop peu porteur, voire carrément inaudible, et voudraient qu’il se contente des officines religieuses et des arrière-boutiques des sacristies. Irons-nous donc jusqu’à penser qu’on ne peut mener de bonne action politique qu’avec des mensonges ou des demi-vérités ? Ne serait-ce pas faire le jeu d’une politique politicienne et démagogique que nous dénonçons ? Pour ma part, je pense que la vérité est toujours audible lorsqu’elle est administrée avec patience et persévérance comme un remède et non assénée comme une arme. Or nous sommes face à une société malade et intoxiquée qui a plus que jamais besoin d’un remède pour se réveiller.
J’en viens au troisième et dernier point, celui qui concerne les arguments. Il faut bien reconnaître que les arguments des partisans du mariage pour tous sont d’une grande indigence pour quiconque sait utiliser sa raison. Je m’en suis fait récemment la remarque en discutant avec des philosophes comme Thibaud Colin et François-Xavier Bellamy. Le problème est que les arguments rationnels n’atteignent absolument pas les partisans du « mariage pour tous », qui se trouvent englués dans une confondante sincérité et où l’émotionnel l’emporte de loin sur le rationnel. Tout tourne autour des mots « droit », « Égalité », « progrès », « homosexualité », « homophobie ». Du coup, on assiste depuis le début à un véritable dialogue de sourd. On n’ose plus rappeler que le droit concerne des personnes, pas des orientations sexuelles, que le mariage est, comme le rappelait jadis Elisabeth Guigou, l’institutionnalisation de la différence des sexes mais qu’il ne concerne pas une orientation sexuelle plus qu’une autre, que toute évolution n’est pas forcément un progrès, que l’homosexualité est une blessure dont les personnes homosexuelles sont les premières victimes, et que la souffrance qu’elle engendre n’est pas le seul fait du regard de la société (la proportion de suicides chez les jeunes homosexuels n’a pas diminué depuis le milieu des années 80 malgré une évolution et un regard nettement moins stigmatisant de la société), et enfin que l’homophobie concerne des actes violents commis contre des personnes homosexuelles et non un discours critique sur des pratiques ou les limites d’un désir (parler de limites ne consiste ni à en nier l’existence ni à en nier la valeur). Quant au discours qui a pris le pas sur le précédent, celui des conséquences pour l’enfant, non seulement les partisans du mariage pour tous le prennent pour un prétexte (Ont-ils vraiment tord ? je pense personnellement que oui mais je ne suis pas persuadé que cela n’en soit pas un pour beaucoup d’opposants), mais en plus ils s’en moquent éperdument. J’en veux pour témoignage la réaction d’Erwann Binet – qui m’a été rapportée par Béatrice Bourges – lors de l’entrevue qu’il a eu avec Aude Mirkowic, au cours de laquelle celle-ci soulevait un certain nombre de points juridiques épineux conséquences de la loi concernant la filiation. Réponse d’Erwann Binet : « On trouvera bien une solution… »
Dans la Bible, les prophètes posent des actes pour susciter une réflexion et, par là même, une conversion. Il n’est pas certain qu’ils cherchent à être imités, ni qu’il faille le faire. A chacun de se déterminer suivant sa conscience.
Philippe Arino n’ira pas manifester le 24 mars. Pour autant, son combat, qui dépasse largement celui de la Manif pour tous, n’est pas terminé. Sa réflexion peut et doit nourrir notre action.
Je me démarquerais peut-être de son propos sur un dernier point : je ne pense pas qu’il soit trop tard pour changer, je ne crois pas non plus que ce combat soit inutile.